Portrait : Laurent Gaden, photographe professionnel

Portrait : Laurent Gaden, photographe professionnel

Photographe professionnel, Laurent Gaden a récemment fait la couverture d’une édition mythique de Surf Session, et pour cause, l’histoire relatait un surftrip en Alaska. Retour sur un génie de l’image.

Peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?

Salut, Je m’appelle Laurent, jeune trentenaire et photographe de métier depuis maintenant plus de trois ans, je partage mon temps entre la photo de surf en freelance pour la presse et certaines marques ainsi que le management d’un studio photo.

Quand et comment as-tu commencé à shooter du surf ? Pensais-tu devenir photographe professionnel quand tu étais petit ?

Shooter du surf, dès mes premiers trips, adolescent… puis j’ai eu un parcours universitaire un peu chaotique durant lequel je me suis pas mal cherché. Pas mal de petits jobs à droite à gauche, beaucoup de voyages. Les voyages forgent la jeunesse et un jour j’ai osé franchir le pas : m’offrir le luxe d’intégrer une école de photo réputée à Paris pour tenter de vivre de ma passion. La photo de surf ne m’intéressait pas du tout au point d’en faire ma vie professionnelle, mais tout ça m’a rattrapé. J’ai eu la chance d’être ami avec Damien (Castera) depuis de nombreuses années. On avait la même vision du surf, du voyage, les mêmes rêves, les mêmes envies de découvertes et d’aventures. On est parti faire nos premiers voyages ensemble puis on est rentré au pays et on a travaillé sur une ligne esthétique, sur les récits. Damien est un grand passionné de littérature, il a une plume incroyable, il aime jouer avec les mots. L’alliance de nos deux compétences a plu, puis tout s’est enchainé très vite…

Te rappelles-tu de ta première publication ? C’était dans quel magazine ? Quel effet cela t’a fait ?

Ma première parution c’était il y a 8 ou 9 ans dans Trip Surf, une toute petite vignette sur un spot en Méditerranée, une immense fierté pour un minot, j’ai bassiné tout le village avec ce timbre poste haha!!!

Quel matériel utilises-tu ?

J’ai beaucoup de matériel, mais le matériel importe peu à mon sens, il faut arrêter de se voiler derrière des chiffres et la technologie, derrière des optiques «au piquet incroyable, des capteurs de X méga pixels» une photo imparfaite peut parfois procurer beaucoup plus d’émotions qu’un chef d’oeuvre de technicité et de propreté plat et ennuyeux… Après il faut être capable de tout produire. C’est sur que l’on ne peut pas ramener une image foncièrement ratée et inexploitable à une marque qui vous paye pour faire sa campagne de pub. La photographie c’est la littérature de l‘analphabète, il faut savoir raconter une histoire avec des formes, des couleurs des lumières, transporter le spectateur dans un univers, le faire voyager avec vous, mais il doit rester maître de son voyage. Il ne faut pas lui imposer votre vision de l’endroit et du moment, il doit se l’approprier.

Quel est ton appareil fétiche ?

On se retrouve donc dans ma réponse précédente, pour faire court, aucun, ou plutôt, si, celui que j’ai sur moi au moment présent, à savoir plus souvent celui des potes que le mien (hors voyage pro). Je ne fais pas partie de ces photographes qui ont toujours leur boitier sur eux, alors je chipe celui des autres quand j’ai envie de prendre une photo et le soir venu je dérobe la carte mémoire de la personne et lui la rend le lendemain…

Comment as-tu vécu le passage au numérique ?

Très bien, je n’ai jamais rien connu d’autre, mon père m’avait offert son F50 quand j’étais gosse mais je n’étais pas assez patient pour pratiquer. Mon premier véritable appareil fut le D70, il m’a suivi dans tous mes voyages de jeunesse. J’utilise l’argentique pour me ramener des souvenirs perso de mes voyages, comme je ne pars jamais avec beaucoup de pelloche, je fais gaffe à ce que je shoote et ne capture que l’essentiel,
les moments qui m’importent vraiment de garder en mémoire. Le numérique a aussi eu le mérite de démocratiser la photographie, il en est sorti beaucoup de faux photographes se prenant pour des artistes mais avant tout, il a révélé un nombre incalculable de talents bruts. Les professionnels doivent toujours garder en tête que la photographie est une forme d’expression en constante évolution et que pour rester à
la page il ne suffit plus de cadrer net, il faut travailler sa sensibilité, son approche du sujet. Toute cette émulation créée beaucoup de concurrence et j’aime ça, ça permet de se tirer vers le haut et de se remettre en question. Dans une société ou l’image est reine, il y a de la place pour tout le monde il faut juste trouver son esthétique et essayer d’être en évolution constante pour apporter quelque chose de frais et de neuf sinon quelqu’un d’autre le fera à votre place.

Que penses-tu du marché actuel de la photographie de surf ?

Vaste débat, complexe… Vous aurez compris que j’ai la prose facile donc pour faire court et simple, on a connu des années meilleures mais il y a encore moyen de réaliser de belles choses. Ca demande beaucoup de travail et d’investissement personnel. C’est un secteur extrêmement concurrentiel d’autant plus qu’il fait rêver beaucoup de jeunes prêts à tout pour décrocher le précieux sésame. Il faut juste être conscient que se prostituer et travailler gratuitement c’est tuer le métier et les acteurs qui le font vivre. C’est encore plus vrai si on espère pouvoir en vivre un jour. Travailler gratuitement une fois c’est se tirer une balle dans le pied, aucun client ne voudra plus jamais payer pour quelque chose qu’il a pu avoir gratuitement par le passé.

Quels sont tes modèles en photographie ?

Martin Parr et Stanley Greene entre autre pour le côté photo journalistique, ils savent raconter des histoires (on y revient). En surf, Chris Burkard et Ray Collins, j’adore leurs esthétiques, ils ont grimpés les échelons de la
photographie de surf à une vitesse effrénée. C’est bien la preuve que le talent paye toujours. Plus proche de nous, Greg Rabejac pour son humilité, ses précieux conseils, une personne qui vit par et pour sa
passion de la photographie sans faire de vagues, en toute discrétion. C’est aussi un waterman incroyablement doué tout comme Timo (Jarvinen). Ces gars là ont un sens marin hors du commun…

Tu es pas mal actif sur les réseaux sociaux, comment conçois-tu la photographie sur les réseaux sociaux ?

C’est à Timo justement qu’il faut poser la question (rires), il se bat énormément pour faire respecter nos droits (ceux des photographes), il est incollable sur le sujet. Même si son combat porte à souvent à polémique, il faut des gens comme lui. Certes il n’a pas sa langue dans sa poche, mais il est sur tous les fronts pour faire reconnaitre notre métier à sa juste valeur, pour le défendre. Les photographes sont les témoins de l’évolution du sport et de son histoire, sans eux beaucoup de choses n’existeraient plus, il faut en avoir conscience. Pour ma part, c’est vrai que je suis très actif sur les réseaux sociaux. Moins ces derniers mois par manque de temps. Les réseaux sociaux permettent de se faire un nom plus vite si on sait s’en servir à bon escient. Celui qui publie tout le soir même sur Facebook et Instagram, ne vendra jamais rien, je m’en sert pour appâter et retenir l’attention. Les photos que je publie ont soit déjà eu une «vie commerciale» soit je ne les juge pas suffisamment abouties pour mériter un parution. Cela dit si je les publie c’est parce que je les aime et que je juge qu’elles méritent d’avoir une vie au de la de l’emprisonnement dans un disque dur. Une photo est faite pour être vue, comme un bon repas est fait pour être apprécié. Pour ce qui est du droit à l’image, toutes les photos que je partage sur les réseaux sociaux sont toujours compressées de façon à ne pouvoir être exploitées ni commercialement ni imprimées en bonne qualité, cela m’évite tous les soucis et les craintes liés au vol de la propriété intellectuelle. Si les gens les partagent, je prend ça comme un compliment, c’est toujours gratifiant de voir que son travail plait. Si la personne ou le blog oublie de mentionner mon copyright, je lui envoie un mail cordial et dans 99 pour cent des cas tout rentre dans l’ordre dans la demi heure. La génération 2.0 va vite très vite, il faut savoir s’adapter et être réactif, il ne faut pas la craindre constamment. Mais il faut rester vigilant.

Aurais-tu des conseils à donner pour la photographie de surf ?

Suivre son instinct, faire ce que l’on aime et le faire bien…

Comment gères-tu les « secrets spots » dans tes publications photo ?

Je n’ai pas d’approche particulière, tout se fait au feeling avec les locaux, j’ai un paquet d’images qui auraient pu faire des parutions et qui ne sont jamais sorties du disque dur. C’est mon petit trésor que je partage
avec mes amis (rires).

Dans ta vie de photographe pro, c’est quoi une journée type ?

Ma journée au studio comme monsieur tout le monde 8h-18h puis je rentre à la maison, j’observe un peu les cartes météo pour voir si un swell mérite que je me libère. Lorsque je rentre de trip comme pour l’Alaska par exemple, il se peut que mon activité freelance me tienne éveillé jusque tard dans la nuit : démarchage des mags, negociation avec les clients, retouches…

Quel est selon toi l’avantage / inconvénient de l’argentique par rapport au numérique ?

Toujours ce débat, ce sont deux pratiques différentes, aux usages et aux objectifs différents. C’est la même chose que ce débat récurrent qui anime les conversations entre surf moderne et retro, chacun voit midi à
sa porte, l’essentiel étant de se faire plaisir. Mais c’est vrai que l’on voit beaucoup de n’importe quoi en argentique sous couvert de faire de l’art…

Quelles conditions préfères-tu shooter ?

J’avoue ne jamais m’être vraiment posé la question, j’aime bien les image ou le surf n’est pas forcément le sujet principal de la composition, vous l’aurez compris à ce jeu, la côte Landaise n’est pas mon terrain de jeu
favori.

Es-tu déjà venu shooter en Bretagne ? Si oui, qu’en as-tu pensé ? Sinon, qu’attends-tu ?

Jamais mais c’est vrai que ça me trotte un peu en tête, le potentiel a l’air incroyable avec une côte très découpée qui me rappelle la méditerranée. Après, vous avez des photographes locaux qui traitent très bien le sujet, on verra si l’occasion se présente prochainement…

T’entraînes-tu pour pratiquer de l’aquashooting ?

Pas particulièrement, mais je devrais.

Pratiques-tu, entre deux shooting, des sports de glisse ?

Je surfe effectivement.

Quel est ton magazine de surf, et de photographie préféré ?

Je n’en ai pas vraiment, chacun apporte son grain de sable, sa vision du sport, Je ne lis pas beaucoup la presse surf en général (un comble!)

Qu’est-ce que cela fait de faire le tour du monde pour shooter des spots fabuleux ?

C’est un bonheur et un privilège inestimable qu’il faut savourer à chaque instant, on ne sait pas de quoi demain sera fait…

Comment s’est passée ton exposition sur l’Alaska ?

Plutôt bien j’ai l’impression, les photos resteront accrochées aux murs de la beach house jusqu’en Juin, mais il faudrait demander aux gens qui ont fait le déplacement pour le vernissage de s’exprimer pour avoir un avis
objectif sur la question (rires).

D’ailleurs, en parlant de l’Alaska, nous avons vu le film livré avec le Surf Session du début de l’année. Peux-tu nous parler de cette aventure ?

Rémi Quilichini (le filmeur), Arnaud Goupil (le monteur) et Damien ont fait un travail énorme et se sont beaucoup investis pour vous livrer ce film. N’ayant pas participé au projet à proprement parler, je pense avoir un oeil assez critique sur cette réalisation. Damien avait à coeur de raconter le voyage tel qu’il s’était passé, sans artifices, sans s’adresser à une audience particulière. Il voulait que tous les publics prennent plaisir
à le regarder, s’y retrouvent. Il avait cette envie de transmettre l’envie de partir à l’aventure et prouver que même des aventuriers à la petite semaine comme nous peuvent réaliser leurs rêves si ils s’en donnent les
moyens. Avec quelques précautions et en se renseignant un minimum, tout le monde peut partir camper en Alaska. Il faut le vouloir c’est vrai. L’Alaska est un pays ou les récompenses se méritent, les conditions de
vie ne sont pas toujours faciles, le froid et l’humidité ambiantes peuvent peser lourd sur le moral par moment.

Mais nous sommes trois amis de très longue date et on savait dans quoi nous avions décidé de nous fourrer. On est content d’être allés au bout de notre aventure. Les conditions de prise de vue étaient loin d’être évidentes, beaucoup de brume (parfois on ne voyait pas à 5mètres devant soi), de pluie… On a raté beaucoup de vagues à cause de la purée de pois qui s’abat sur les forets et l’océan en seulement quelques minutes. L’ambiance au pic est parfois lugubre mais surtout mystique et envoutante. Se retrouver seul à l’eau avec Damien dans ces eaux froides du bout du monde était aussi inquiétant qu’excitant. Pour ce qui est des anecdotes, il y en a eu trop pour pouvoir toutes les citer, mais on retiendra le deuxième jour du trip où on s’est fait sortir de l’eau avec Damien par un énorme lion de mer mâle qui avait l’air plutôt hostile (on l’aperçoit dans le film).

Du coup chaque mise à l’eau à cet endroit se faisait avec la boule au ventre que René (le surnom qu’on lui avait donné) revienne rouler des mécaniques, ce qu’il aura fait tout au long du trip. On savait donc à chaque sortie sur le spot que le temps nous était compté pour sortir des images. D’autant plus que Réné avait une réelle attirance pour pointer son museau lors des journées parfaites avec des tubes (allez comprendre…). Le dernier jour alors que je shootais la session qui a fait la couv du Surf Session sur un outer reef au pied des montagnes depuis le bord, Damien et Remi ont eu la visite d’une famille d’Orques. Pas besoin de vous préciser qu’ils ont ramé très très vite pour sortir de l’eau. Dans un autre registre, le premier saumon d’Alaska pêché à l’embouchure de la rivière restera un sacré souvenir.

Comment as-tu rencontré Damien Castera ? Et depuis quand vous travaillez ensemble ?

A Padang Padang en 2004, à l’époque ou l’on pouvait encore profiter de ce spot sans être entassé au pic comme dans une boite de sardines, je l’avais pris au loin pour Joel Tudor (Il va me tuer quand il va lire ça), s’en est suivi une soirée mémorable à Kuta. Le travail est rentré bien plus tard dans l’équation.

Comment as-tu fait pour ne pas geler dans l’eau en Alaska ?

On savait à quoi s’attendre en partant là-bas, c’est très étrange mais on devait tellement être préparé psychologiquement à souffrir du froid qu’au final on l’a plutôt bien vécu. On apprend à vite allumer un grand brasier pour se réchauffer en sortant de l’eau quel que soit le taux d’humidité et la force du vent (rires).

Quel est ton plus beau souvenir de voyage ? Ton pire ?

Question compliquée, trop de souvenirs pour n’en garder que deux…

Où rêverais-tu d’aller ?

L’Afrique est un continent qui m’attire énormément. Ca me ferait du bien un peu de soleil et de chaleur après l’Alaska…

Quels sont tes projets pour l’année en cours ?

Il y en a, mais mes amis ont pris l’habitude de tempérer mes ardeurs en me disant qu’il ne faut jamais «chanter» avant que quelque chose se réalise, je vais donc suivre leur conseil sur cette question.

Où peut-on suivre tes travaux ?

Dans la presse et les réseaux sociaux via mon compte Instagram @laurentgadenphotography (Je ne diffuse quasiment rien sur Facebook)

Un dernier mot à ajouter ?

Un immense merci à tous nos amis qui nous soutiennent dans nos projets et qui nous motivent à continuer. A Damien avec qui je prends un immense plaisir à collaborer. A son sponsor O’neill qui me soutient pleinement dans mes projets artistiques et qui nous fait confiance pour représenter l’image de la marque. A mes parents qui m’ont permis de vivre et réaliser mes rêves.

Toutes les photos sont de Laurent Gaden.