En terre inconnue, le surf au Québec

Du haut de ses 37 ans, Frédéric Dumoulin est l’un des pionniers de la Côte-Nord du Québec. Il y surf depuis bientôt 8 ans. Après un emploi en tant qu’aide chercheur en biologie aquatique, ce passionné des océans est retourné à l’université pour faire un Bac (équivalent d’une licence) en éducation. Depuis, Frédéric travaille comme professeur de sciences et technologie à l’école régulière et pour les jeunes à déficience intellectuelle. En sus de son job régulier, Fred cumule les emplois de gardien de territoire et de… shapeur (surf et skate). En vrai passionné, M. Dumoulin partage ses hobies avec le public local. Il gère ainsi les activités parascolaire de construction de skateboard pour les petits québécois. Mais dès que du temps libre se profil devant lui, il se retrouve derrière le comptoir de son surfshop, le seul et unique dans la région : la Boutique Surfshack. Portrait d’un pionner du surf dans une région bien isolée.

Le Surfschack propose des locations de combis, boards, mais également des cours de surf en plus de la réparation de planches.

Les débuts du surf au Québec

Le surf est rentré dans ma vie sur le tard. À 30 ans, j’ai surfé mes premières vagues en face de la maison, ici à Moisie. Personne n’avait surfé cet endroit auparavant. Je m’étais construit une planche avec des matériaux assez rudimentaires : foam d’isolation et bois de construction… aucune lamination, ni fins ; la machine n’a pas tenue longtemps vous comprendrez.

Au cours de ce même été, un ami de Frédéric lui fait parvenir une planche des Etats-Unis. Ce fut une révélation. Une vraie planche de surf, idéale pour se faire la main dans les conditions changeante du North Shore Québécois. Le virus étant désormais présent au plus profond de son corps, Fred décide de passer à une autre étape l’été suivant : la construction de sa propre board.

Très volumineuse et un peu mal dégrossie, mais à ce jour, elle flotte encore.

Les débuts du surf sur la Côte-Nord du Québec sont très difficiles. L’eau est glacée dès l’automne (6°C) et un mauvais choix d’équipement met à rude épreuve la motivation de Fred.

Je revenais de mes sessions de surf complètement gelé. Par la suite, j’ai rencontré un gars qui avait l’expérience du surf en eau froide et par ses conseils, j’ai pu mieux m’équiper.

Si Fred ne se souvient plus trop de sa première vague surfée, il se rappelle surtout la galère pour apprendre, toujours tout seul, dans sa région, sur ses vagues, malgré quelques bons conseils d’autres riders rencontrés à droite et à gauche.

La solitude commençant à peser un peu, Fred décide de partager son trésor avec d’autres amis qu’ils initient aux joies de la glisse. Désormais, c’est une toute petite communautés de passionnés qui se réunit pour glisser sur les ondes de l’océan lointain.

Le premier surfshop

Je pourrais parler de ma Boutique-École, le SurfShack pendant des heures. J’aime partager mes passions, c’est la principale raison qui m’a poussé à fonder SurfShack (ce nom vient d’une cabane que j’avais construit avec un ami sur un des spots qui offrait de belles vagues en 2009).

Le SurfShack est une expérience de vie personnelle pour Frédéric. Lui qui a toujours voulu apprendre ce qu’était de lancer une affaire a réussit son coup en offrant aux gens l’opportunité d’accéder à la mer qui nous borne.

En effet, à part au mois d’août, personne ne se baigne plus de dix minutes avec les températures d’eau que nous avons ici. Grâce aux progrès sur l’équipement néoprène, la baignade dans notre mer n’est plus une torture, du coup, je me suis dit que tous les amoureux de la mer devaient en avoir un.

Au début, certains ont été surpris de voir que je risquais le coup. Je voyais venir certains des grands centres ou d’ailleurs, qui lorgnaient le marché, mais je me suis dit que j’étais le mieux placé pour faire le travail : sur le bord d’un bon spot de surf, avec une place dans le garage pour la boutique et pour donner les cours et faire les réparations, avec plein de bonnes idées en tête, avec le temps qu’un prof a, lors des congés scolaire… j’ai pris mes points forts : l’enseignement, mon imagination, mes habiletés manuelles et up ! Le SurfShack est né, il y a de ça trois ans.

Au niveau du succès, les objectifs ne sont pas encore atteints, mais ce n’est pas l’essentiel pour le surfeur québécois. Pour lui, le surf doit se développer sans le marketing bidon, il faut préserver l’âme du surf, que les gens surfent pour le plaisir. Par contre, ouvrir un surfshop dans une zone aussi reculée d’un point de vue surf n’est pas une sinécure, en témoignent ses difficultés à trouver du bon matériel.

L’aventure à l’eau

Surfer sur la Côte-Nord est toujours une aventure. Dans cet endroit vivant, beaucoup d’animaux marins prospèrent. Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des loup-marins et plein de cétacés (petits rorqual, grand rorqual, baleine à bosses, baleine bleu, béluga, dauphins, etc.).

A l’eau, Fred rencontre très souvent des phoques, mais sa rencontre la plus marquante en surf fut la fois où deux jeunes bélugas sont venus à sa rencontre :

Tout paraissait bien aller, des vagues d’océan de 4–5 pieds rentraient sur une journée bien ensoleillée de mai 2010. Assis sur ma planche au line-up, j’ai vu une grosse masse sous l’eau qui se dirigeait sur moi. Mon premier réflexe fut de penser aux requins… Aucun surfeur n’a encore été en contact avec ce prédateur des mers, mais nous savons que plusieurs espèces fréquentent nos eaux, dont le grand blanc. Je me suis donc couché sur ma planche en laissant le moins possible dépasser mes membres. Plus l’animal s’approchait de la surface, plus je distinguais sa couleur gris pâle. Mon cœur voulait sortir de ma poitrine, mais si j’avais à y rester ça devait être en mer me dis-je. Au dernier moment, à moins de trois mètres de ma planche, l’organisme marin d’une longueur grande comme un canot, fendait l’eau et me faisait voir son évent et entendre sa respiration, pour me dire que ma vie était sauve et que je pouvais continuer à jouer. Ce qu’il faut savoir c’est que la couleur des bélugas est blanc à l’âge adulte, mais ce que j’ignorais c’est qu’elle est d’un beau gris-requin dans sa phase juvénile…

Les conditions dans le Nord

Lorsqu’on lui demande comment sont les conditions générales dans le Nord, Fred nous répond ce qu’un Méditerranéen nous répondrait (le froid et la solitude en plus) :

Ceux qui osent l’aventure du surf sur la Côte-Nord, doivent tout d’abord se faire à l’idée que les vents sont, comme partout ailleurs, tributaires des vagues. Nous n’avons pas de swell constant comme sur le Pacifique, donc le chasseur de vagues doit bien s’informer des conditions de vagues avant de manger des centaines de kilomètres d’asphalte pour venir ici. Pour nous, ça devient une obligation de prendre congé au travail lorsque les conditions de surf sont bonnes. Nous savons que nous serons peut-être plusieurs jours sans vagues par la suite, alors quand elles sont là, nous nous faisons le devoir d’aller à leur rencontre.

Dès que la glace se retire, je suis dans l’eau : d’avril à la mi-janvier. Nous avons une vingtaine de spots à surfer selon la direction des vents. Quelques-uns de ces endroits ont été découverts par des surfeurs d’ici qui sont pilotes d’avion et d’hélicoptère. L’accessibilité aux spots est souvent assez facile, car la route principale borne la mer sur toute la côte. D’autres endroits demandent une petite marche d’approche, mais on s’en tire avec un 10–15 minutes à pied. Le potentiel pour le surf sur la Côte-Nord est sans contredit très bon lorsque les éléments météorologiques sont de la partie. Beachbreak, récif, beauté des paysages, immensité du territoire (300 km de côte à découvrir, parsemés d’anses sablonneuses, sentiment d’être seul au monde, voilà nos forces : parfait pour les aventuriers avides de nouvelles découvertes.

Le Nord à la TV

Le surf au Québec paraît si éloignée des réalités québécoises que sa découverte ne pu passer inaperçue. Pour le faire découvrir aux Canadiens, un film est sorti :

 

Surf Boréal a été une rampe de lancement pour le surf sur la Côte-Nord.Myriam Caron est l’auteur de ce film, qu’elle réalisé entre 2010 et 2012. J’ai initié Myriam et son copain au surf et au shapage de planche. Leur film dépeint la réalité du surf lors de la saison froide. Les images ont été tournées en majeure partie durant l’hiver. Ce film a donné une belle visibilité au surf sur la Côte-Nord en plus d’être très artistique. Ce n’est pas le genre de film où l’on voit des surfeurs faire des prouesses, mais un film-documentaire avec narration. Il a d’ailleurs gagné le prix Canadien du meilleur film au festival du film de Vancouver! Ce n’est pas rien.

Transmettre la passion

Passionné par le surf, Fredéric Dumoulin transmet également sa passion aux québecois et québécoises :

J’initie au surf environ 80 personnes par été, autant enfants, jeunes adultes et gens d’âge de raison. Il s’agit d’un cours qui donne les bases et la confiance nécessaire pour débuter dans ce sport. La plus part des clients viennent vivre une expérience. Je leur explique que les habiletés en surf se travaillent sur un grand nombre de sessions, et ce qui fait un bon surfeur sont le nombre et la variété de vagues surfées. Donc, on ne devient pas surfeur après un cours, on ne surfe pas nécessairement debout, et parfois certains restent à regarder de la plage. J’explique au gens que le surfer n’est pas uniquement de dominer une vague en la chevauchant en position debout. Avec le surf, les gens font une belle rencontre avec eux-mêmes, ils se rendent compte de leurs limites tant physiques que psychologiques. Ils apprennent à affronter leurs peurs, le regard d’autrui et souvent se surprennent eux-mêmes et se dépassent.

En attendant les vagues

Dans une région comme celle de la Côte-Nord, l’attente des vagues fait partie de la vie du surfeur. Parfois, il faut attendre pendant des semaines pour avoir quelque chose à rider, nous dit Fred. Le pire étant l’hiver, où :

Quand la banquise est présente sur la mer, il n’y a aucune vague, et ce pendant des mois. Il faut se trouver quelque chose à faire; un autre sport pour garder la forme, une autre passion quoi. Mais difficile de trouver aussi enivrant que le surf…

Comment se rendre sur la Côte-Nord

Pour se rendre et venir surfer la Côte-Nord, c’est la route 138 ou l’avion. Le SurfShack, c’est un petit trésor caché au bout de la rue qui porte le nom de la planète Mars d’un bled de mobiles homes un peu miteux, mais c’est mon paradis. Ici c’est relativement tranquille, il faut s’annoncer avant de passer, je n’ai pas d’heures d’ouverture officielle. Je me lève à 5AM s’il y a des vagues (ou si vous avez besoin), me couche à minuit pour prendre quelques bières et parler de surf. Vous voyez un peu ma façon de vivre ! Si ça en vaut la peine, je suis là quoi.

L’environnement

Petit paradis au Québec, la Côte-Nord est habitée presque exclusivement sur les berges du fleuve St-Laurent qui la borne. Ici, il est encore possible de boire l’eau des lacs et des rivières. Pour ce qui est de Sept-Îles, plusieurs grandes usines utilisent la baie de Sept-Îles pour baigner leurs navires. Malgré leurs efforts pour respecter les normes environnementales, la pollution du milieu marin est non négligeable.

Par exemple, l’année dernière, un déversement de mazout est venu noircir les eaux et le berges de la baie et plus loin encore. Un accident écologique s’est produit, et par manque d’expérience et d’équipement adéquat, combiné avec une météo difficile, l’industrie n’a pas été capable de contenir la marée noire. Le résultat a été désastreux pour ceux qui pratiquent la pêche et la mariculture et pour nous qui utilisons la mer. L’accès à nos vagues fut bloquée pendant presque deux semaines…

D’autres grands projets de mines et d’exploitation pétrolière amènent plusieurs inquiétudes en ce qui a trait à l’avenir de notre nature encore presque vierge. Plusieurs débats sur les enjeux économiques et environnementaux divisent la population de la région. Un parti prône le développement économique de la région (qui est plus qu’acceptable à ce jour : salaires moyens les plus élevés de la province) et d’un autre côté, les opposants et défendeurs environnementaux qui travaillent fort à ce qu’on ait un milieu de vie le plus saint possible. Le lobby des grandes industries est très fort ici, tandis que les citoyens qui sont contres ces développements industriels, eux doivent faire preuve de vigilance et de mobilisation. Jusqu’à présent, ceux qui tentent d’aider la nature ont gagné quelques grands combats, mais j’ai l’impression que la guerre n’est pas terminée.

Le surf a été pour moi une révélation de bonheur et je souhaite qu’il en soit de même pour vous un jour, que ce soit sur une planche ou dans un autre domaine qui vous remplis d’une émotion et d’une passion aussi forte que celle que je vie avec ce sport. Au plaisir de partager la vague avec vous un jour. Fred de SurfShack.

Surfer sur la Côte-Nord

La Côte-Nord est une terre de liberté, où le nombre de surfeur réguliers monte à 12 (jusqu’à ce que la banquise empêche la propagation lointaine de la houle, vers Janvier). Située à 10 heures de route Montréal, nous sommes en bordure du Golfe du Saint-Laurent. La ville principale fait 25 000 habitants, et tout le monde se connaît ou presque.
*La plage en face de la maison fait 28 km de long.
*La mer est riche en animaux de tout genre
*Nous surfons entre 75 et 125 jours par année.
*Les vagues sont normalement de niveau débutant-intermédiaire
*Il y a trois types de houles différentes : les houles de tempêtes (dans les 8–10 pieds, voir plus), les houles longues provenant de l’Océan Atlantique, et les vagues de l’Ouest (les houles courtes estivales, bien désorganisées).
*Les vagues sont de type plutôt plates, pas de tubes dans le coin. Du coup, elles se prêtent plus au longboard ou au fish.
*La période des vagues est souvent très courte pour les standards océaniques (5–6 secondes). Du coup, il faut de bons bras.
*Ici on se doit d’avoir deux boards : un longboard pour les petites vagues et un plus court pour lorsque les vagues grossissent. Bien volumineuse et ayant un ‘’low rocker’’ pour les deux types de planches.